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Atelier de e-santé animale : élevage et médecine vétérinaire face aux opportunités… ou menaces 2/2

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Atelier de e-santé animale : élevage et médecine vétérinaire face aux opportunités… ou menaces 2/2

L’université d’été de la e-santé humaine s’est tenue à Castres, du 4 ou 6 juillet, sur le site de l’école d’ingénieurs Informatique et systèmes d’information pour la santé (Isis), créée en 2006. Ce 11e rendez-vous a rassemblé des professionnels de santé, des industriels, des chercheurs, etc., venus débattre des usages des nouvelles technologies  dans le domaine de la santé et du bien-être. Pour la seconde année consécutive, un atelier thématique était dédié à la e-santé animale. Cette seconde édition confirme non seulement l’intérêt de l’innovation numérique en santé animale, mais aussi son fort potentiel pour la profession vétérinaire. Si ce virage technique lui échappe encore, 2017 pourrait être l’année de la maturité.

 

Données et télémédecine, des points de crispation

Cette seconde édition confirme non seulement l’intérêt de l’innovation numérique en e-santé animale, mais aussi son fort potentiel pour les vétérinairesLe contrôle des données est le nœud stratégique des systèmes d’information. Aujourd’hui, les éleveurs tentent de reprendre la main sur les données abandonnées aux organisations agricoles et à l’industrie, à l’instar des céréaliers pour leurs tracteurs ou des exploitants laitiers avec les machines à traire. Ces données collectées, les éleveurs ne peuvent ensuite les récupérer que sous forme de services, plus ou moins gratuits.

Pour Denis Avignon, « les données de l’élevage doivent être intégrées dans l’entreprise vétérinaire, ne serait-ce que pour répondre aux attentes des clients relatives à une médecine préventive de précision, une médecine curative individualisée ». Reste que les professionnels agricoles ne sont pas prêts à rémunérer un tel service, ou plutôt à mettre leurs données à la disposition des vétérinaires gratuitement.

L’enjeu du big data est tellement de taille qu’il alimente aussi un autre progrès de rupture : l’intelligence artificielle (IA). Car si des milliards de milliards de données sont générées chaque jour, des décisions sont prises sans savoir vraiment ce que disent ces informations. Les systèmes intelligents comme Watson, lancé par IBM, ont donc vu le jour pour aider à faire de meilleurs choix, mieux documentés et fondés scientifiquement. Leurs compétences trouvent de multiples applications dans des domaines aussi variés que la médecine, l’aide juridique ou la composition musicale. Ainsi, l’IA va accompagner le vétérinaire dans le diagnostic, la prescription, voire son suivi. Mais le risque est que cette technologie se substitue à lui. Cela profiterait au détenteur de l’animal, mais à court terme, car sans vétérinaire, pas de médecine curative. En outre, l’autonomie de ces programmes n’est pas encore pour demain.

La télémédecine est alors une opportunité logique et attendue de ces technologies. Si elle est encore interdite, les outils existent : IA, blockchain, réalité augmentée ou virtuelle, mobilité, etc. À ce jour, la réglementation oblige le vétérinaire à établir un diagnostic après un examen clinique de l’animal. La portabilité de cette consultation n’est pas encore prévue. Pour Didier Avignon, « l’intelligence artificielle ne doit pas remplacer le vétérinaire, mais créer une médecine améliorée. L’Ordre reste vigilant quant à une éventuelle perte de l’intermédiation ».

Non, la profession vétérinaire n’est pas frileuse. Elle a seulement identifié, à côté des réelles opportunités, les menaces inhérentes à la e-santé. Bernard Vallat, ancien directeur de l’Organisation mondiale de la santé animale, a rappelé que « c’est grâce au big data que l’OIE a eu l’opportunité de développer des outils de gestion des crises sanitaires en temps réel, dans le monde entier, malgré une hétérogénéité des services vétérinaires […] L’innovation doit tirer vers l’excellence et non libéraliser. Il est capital que le traitement des alertes sanitaires ne soit confié qu’aux seuls professionnels des missions sanitaires ». Ne serait-ce que pour empêcher toute panique, et son cortège de fake news.

 

Un modèle économique à créer

Selon l’Institut de l’élevage, 70 % des élevages laitiers sont déjà connectés. Les exploitations de petits ruminants y ont également recours. Ainsi, des programmes liés à la 3D sont en cours de développement pour un meilleur suivi morphologique et de scoring corporel. Le GPS permet quant à lui de suivre le parcours des animaux afin de détecter des problèmes de santé via des comportements anormaux. Et la détection des chaleurs affiche un taux de 80 %, quand l’éleveur seul plafonne à 50 %. « Les outils connectés améliorent considérablement le quotidien de l’exploitant et pourtant, le retour sur investissement est aujourd’hui défavorable. » La rentabilité économique de cette technologie demeure ainsi le principal frein, sur toute la chaîne de l’animal.

Pour que le vétérinaire ne rate pas ce virage numérique, comme le souhaite Vetfuturs, il faudrait définir non une offre de services, mais des solutions économiquement viables, des business models. La première édition, en 2016, avait montré la faiblesse des projets technologiques dans le domaine de la santé animale : absence de stratégie, réponses simplement techniques, en décalage avec le marché. D’ailleurs, si des IoT apparaissent quasiment toutes les semaines dans le domaine de l’animal, ils disparaissent presque aussitôt.

Un constat qui se confirme dans la filière équine. Le cheval athlète attire les convoitises. Les besoins de data sont nombreux. Le pôle Hippolia concentre les initiatives du secteur en France. Selon Audrey Aussibal, « les projets doivent être rentables, en lien avec des services, répondre à un marché, donc à une demande, et inscrits dans la durée ». Le problème est donc bien identifié. Mais ce n’est pas le seul : « L’environnement de la e-santé chez le cheval est en avance, mais davantage concentré sur le cheval à l’effort que dans l’écurie. La e-santé est intéressante en prévention, mais nous manquons cruellement de réponses techniques pour le cheval à l’extérieur. » Pire, « il est urgent que la recherche s’empare des nouveaux outils, car il y a une déficience de données scientifiques pour interpréter correctement les data récoltées ».

L’e-santé animale n’aurait-elle pas, tout simplement, abordé le marché à l’envers ? En commercialisant d’abord des produits techniques avant de poser les bases d’un développement durable, pérenne, capable de survivre aux mutations technologiques ? Replacer l’animal au cœur des préoccupations, que son détenteur soit professionnel ou pas, pourrait être la véritable valeur ajoutée du praticien vétérinaire, recherchée par Vetfuturs.

 

Les biotechnologies n’attendront pas

Une autre approche confirme le vétérinaire dans son rôle : la recherche animale, qu’elle soit médicale, zootechnique, voire fondamentale. Denis Avignon a insisté sur la position de la profession vétérinaire dans ce domaine : « La biotechnologie évolue rapidement avec des technologies de rupture comme l’édition de gènes via les CRISPR (Clustered regularly interspaced short palindromic repeats). Travailler sur l’ADN nécessite des budgets beaucoup plus faibles, grâce à cet outil rapide, efficace et accessible. Cela posera toutefois des problèmes éthiques. »

L’édition de CRISPR, une invention française, permet aujourd’hui de créer des mutations de manière fiable, pour divers objectifs : développer des souches animales contre de nombreuses maladies génétiques, des cancers, des infections ; améliorer les organismes vivants en sélectionnant des gènes ou en les supprimant, etc. Les animaux sont les premiers concernés. Le débat éthique n’est pas nouveau, il est similaire à celui lié aux organismes génétiquement modifiés (OGM). La grande différence réside dans la facilitation de la méthode et sa généralisation.

« L’impact d’une démarche zootechnique ou médicale sur la santé de l’animal est réel. Le praticien doit pouvoir intégrer cette évolution dans son quotidien, pas celui de 2050, mais celui des deux ou trois prochaines années. C’est également une question de bien-être animal. » Sauf que la profession vétérinaire, du moins en France, ne semble pas vouloir réagir face à des pratiques sources de handicaps chez certaines espèces animales. Pour les races canines brachycéphales, la condamnation de l’hypertype est toujours venue des confrères d’autres pays, souvent anglo-saxons mais pas uniquement. Ni l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), ni les instances syndicales ou ordinales n’ont pris position dans le domaine. Difficile alors de légitimer le rôle de surveillance, de gardien de l’éthique du vétérinaire. À moins que les positions en faveur du bien-être animal prises par l’ancien président de l’Ordre, Michel Baussier, contre l’abattage sans étourdissement et la corrida, ouvrent une nouvelle ère.

 

Capdouleur, l’excellence vétérinaire attendue

Le programme de prise en charge de la douleur initié par Thierry Poitte, vétérinaire lauréat du prix de l’Ordre en 2015, est aujourd’hui le plus abouti dans le contexte Vetfuturs. Ce réseau pour vétérinaires offre aujourd’hui des bases de données (bibliographie, veille scientifique), de la formation accréditante et une plate-forme d’échanges entre praticiens. « Capdouleur regroupe à la fois les généralistes et les spécialistes dans une interdisciplinarité et une transversalité. À ce jour, le maillage englobe 143 cliniques vétérinaires et 489 praticiens. » La démarche se veut participative, en assurant une connectivité entre vétérinaires, mais aussi entre vétérinaires et détenteurs d’animaux dans le cadre de l’observance. Deux applications, Dolodog et Dolocat, permettent de mesurer la douleur et donc de communiquer sur le sujet. « Cela nous permet de proposer une médecine individualisée dans laquelle la douleur est sous influence génétique et environnementale. » L’aboutissement viendra de l’internationalisation du programme et de l’ouverture de véritables centres antidouleur, comme en médecine humaine. Plusieurs espèces seront prises en charge dans l’année qui vient, notamment en pratique rurale.

En fin de compte, cette initiative répond à tous les critères d’une stratégie de rupture apportée par les nouvelles technologies. En effet, elle modifie le management de l’activité quotidienne des vétérinaires ; elle propose aux praticiens d’utiliser les data pour corriger leurs pratiques, pour se former ; ils n’ont plus qu’à aller au bout de la démarche en l’insérant dans la première blockchain vétérinaire digne de ce nom ; elle inclut les premiers éléments d’intelligence artificielle. Enfin, elle offre ce que tout utilisateur de nouvelles technologies recherche : la liberté et l’autonomie vis-à-vis des anciens modèles scientifiques, de formation et de communication vétérinaires.

 

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