mardi, mars 19, 2024
banner
Accueil Animaux de compagnie Chien de race : l’évolution de la Société centrale canine (SCC) passe par une révolution de la gestion des races

Chien de race : l’évolution de la Société centrale canine (SCC) passe par une révolution de la gestion des races

0
Chien de race : l’évolution de la Société centrale canine (SCC) passe par une révolution de la gestion des races

Depuis plusieurs semaines, le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur la situation du chat et du chien de race met en ébullition différentes organisations professionnelles. Ce n’est pas la première fois qu’une mission ministérielle conclut à des dysfonctionnements ou à l’incapacité à gérer correctement la sélection canine. Mais cette fois-ci, les pistes de progrès sont clairement énoncées et le vocabulaire employé est clair, loin de la langue de bois des précédents. Les opportunités politiques et techniques apparaissent très convoitées.

La mission confiée par la Direction générale de l’alimentation (DGAL) à Francis Geiger et Maryline Nau, inspecteurs généraux de la santé publique au sein du CGAAER, a été initiée le 5 juin 2013, à la suite de critiques récurrentes formulées depuis des années par plusieurs organisations. Ils ont cherché à comprendre pourquoi la Société centrale canine (SCC) n’arrive pas à se réformer. L’exemple du changement de statuts, engagé en 2008, illustre bien le malaise. Mais au-delà de la cuisine interne de l’association, l’objectif était de faire un point, le plus exhaustif possible, sur la refonte de la génétique des carnivores domestiques, proposée dès 2010 dans un précédent rapport. Ce travail a donc également concerné le Livre officiel des origines félines (Loof).

 

Le chien de race représente 5 % de la population canine française

chien de race Shetland_Sheepdog_at_Dog_ShowLa population canine globale est estimée à 7,42 millions de chiens, dont seulement 375 000 sont de race. Cette proportion est encore plus faible dans la gent féline : 2,5 %, soit 258 000 chats de race pour 11,41 millions d’individus en France. Les tendances sont opposées : quand la population canine baisse de 2,24 % en trois ans, celle des chats croît de 4,11 %.

Cela ne signifie pas que la population française est constituée principalement par des bâtards. Si 70 % des chats, soit 8,25 millions, sont des européens, donc non enregistrés au Loof, il en est différemment pour la gent canine. 70 % des chiens appartiennent à une race canine ou sont apparentés, soit 5,2 millions d’individus.

Là où le bât blesse, c’est au niveau du pourcentage de chiens inscrits définitivement au LOF, c’est-à-dire confirmés. Ils ne sont plus que 375 000, soit 5 % de la population. Et si à cela on ajoute que les trois quarts des chiens produits en France sont issus de reproducteurs non LOF, la représentativité de la SCC dans le monde de l’élevage canin est sérieusement remise en cause. Comment parler encore de gestion de la génétique canine dans un tel contexte ?

Le rapport égratigne d’ailleurs le principe même de la confirmation. Non seulement elle ne permet pas de juger scientifiquement les qualités génétiques des individus confirmés, donc des potentiels futurs reproducteurs, mais ce concept d’entonnoir diminue fortement le nombre de reproducteurs possibles et appauvrit en conséquence les réserves génétiques de chaque race canine.

Quant aux grilles de sélection mises en place dans les différents clubs de race, elles seraient peu utilisées par les éleveurs de chiens de race : 1,7 % des animaux inscrits au LOF sont cotés et 7 % des chiens confirmés. On est loin des 10 % nécessaires pour recenser une élite.

 

Les politiques génétiques plombent la santé du chien de race

chiend e race hypertype bulldogLes rapporteurs ont été surpris de voir la place occupée par la recherche génétique dans les deux espèces visées par la mission. Autant le Loof s’est engagé dans des partenariats, éditant des fiches d’information, autant la politique de la SCC reste embryonnaire. Les auteurs du rapport évoque notamment ce fameux groupe de travail créé pour appréhender les tests génétiques, en 2008, et qui ne s’est réuni qu’une fois cette année-là. Des fiches avaient été également éditées, mais n’ont jamais été distribuées aux intéressés potentiels. On est très loin de ce qui se pratique aux États-Unis, par exemple, avec quelque 2 millions de dollars affectés à l’American Kennel Club Canine Health Fundation, ou encore au Royaume-Uni, qui consacre 1 million de livres à la fondation du Kennel Club.

Lors d’une séance à l’Académie vétérinaire de France, en avril 2012, deux scientifiques, Catherine André et Jocelyn Plassais, concluaient ainsi leur intervention : « Les scientifiques s’accordent pour dire que l’évolution des races de chiens a entraîné la sélection d’allèles de gènes pour répondre à des critères recherchés, essentiellement de spécialités morphologiques, et a conduit, de fait, à la concentration d’allèles “défavorables” entraînant de nombreuses maladies génétiques dans presque toutes les races canines. Ces mêmes scientifiques s’étonnent du peu de moyens affectés à la recherche en France sur cette problématique, situation d’autant plus regrettable que le chien représente un modèle unique pour l’étude des maladies spontanées pour de nombreuses entités cliniques humaines ayant une origine génétique. »

Les auteurs soulignent alors que l’élevage des chats et des chiens est caractérisé par :

  • une sélection essentiellement fondée sur des standards de beauté ;
  • une médicalisation des reproducteurs qui permet de maintenir en vie ceux qui transmettent des allèles délétères ;
  • une aide à la procréation qui permet de maintenir artificiellement la capacité reproductrice de reproducteurs ayant des difficultés à assumer cette fonction ;
  • une consanguinité nécessaire pour maintenir un standard, entraînant l’appauvrissement des réserves génétiques ;
  • une dérive vers l’hypertype, constatée dans de nombreuses races canines et félines, avec l’apparition concomitante de gènes, voire de maladies, liés à cette sélection.

Le rapport n’évoque pas clairement l’utilisation à outrance de certains reproducteurs reconnus comme porteurs de tares. Si elle est mentionnée, le texte ne souligne pas le fait qu’un sujet qui entre dans la grille de sélection n’est jamais écarté de la reproduction ensuite, même s’il doit, par son patrimoine génétique, “tuer” la race. Dans de nombreuses races, certaines tares invalidantes et répandues proviennent d’un ou de deux reproducteurs tout au plus. C’est sans compter également sur l’absence de prise en considération du bien-être des races hypertypées qui, pour certaines, vivent dans des conditions plus qu’invalidantes au quotidien.

 

Le schéma actuel de gestion : confusions et critiques

Scc organigrammeLes rapporteurs ont également établi un schéma de fonctionnement de la cynophilie et de la félinophilie. Concernant la SCC, ses activités variées et rémunératrices comprennent la tenue du livre généalogique des chiens de race, le LOF, qui représente 76 % du chiffre d’affaires (9 850 000 € pour seulement 200 000 naissances de chien de race par an). L’activité “confirmation” pèse près de 20 % du chiffre d’affaires “tenue du livre généalogique”, alors que la confirmation ne représente pas un élément de fiabilisation des données généalogiques.

Il est également souligné que les statuts et le règlement intérieur ne reflètent pas la mission première de l’association : ils privilégient les sociétés canines territoriales (55) au détriment des clubs de race (110) et des clubs d’utilisation (1 200).

Enfin, ils concluent qu’il existe une confusion entre les activités exercées au titre de l’association reconnue d’utilité publique et celles exercées au titre de la mission de service public déléguée par l’État. De même, « le manque de rigueur dénoncé dans la gestion du LOF est patent. L’État n’a aucun levier d’action sur les tarifs pratiqués par la SCC, la mission de service public ayant été déléguée sans convention. Le maintien du principe d’agrément d’opérateurs chargés de  la tenue des livres généalogiques doit obligatoirement être conditionné à la signature d’une convention précisant les devoirs du délégataire et octroyant au délégant un droit de regard sur la tarification des prestations découlant de la délégation de mission de service public au regard du service rendu ».

Autre remarque relevée et souvent dénoncée depuis des années : la SCC n’affilie qu’un club par race. Les clubs de race dissidents se plaignent de leur absence de reconnaissance officielle et de leur impossibilité d’organiser des expositions dont les récompenses sont reconnues. Or l’article D214-8 prévoit la possibilité d’agréer l’association spécialisée la plus représentative pour chaque race de chiens ou groupe de races. Cet agrément est à la charge du ministère de l’Agriculture, mission qu’il n’a quasiment jamais assurée. Les deux rapporteurs n’ont trouvé aucune trace de cet agrément pour nombre de clubs de race canine. Ils concluent ainsi ce chapitre : « L’affiliation d’un seul club de race apparaît contraire au principe de la liberté d’association. »

 

L’État responsable de cet imbroglio ?

Un autre intérêt de ce rapport est l’étude juridique rapide menée par les rapporteurs. Il en ressort que l’État n’a plus la responsabilité de l’amélioration génétique des chiens et des chats, il ne fait que reconnaître les livres généalogiques. En parallèle, la SCC et le Loof n’ont pas non plus les bases législatives et réglementaires nécessaires pour être reconnus comme des organismes de sélection.

Le présent rapport évoque également le rapport Coperci de 2005 qui dénonçait le fonctionnement interne de la SCC. Frédéric Geiger et Maryline Nau montrent que l’état d’esprit a peu changé. Toujours pas de comptabilité analytique, mais un manque de rigueur, des services proposés bien en dessous du prix du marché comme le service ADN, etc. Ils notent d’ailleurs que « cette association doit absolument évoluer pour rester dans son époque ». Sic ! Un contraste par rapport au bilan dressé concernant le Loof.

 

Les quatre scenarios proposés avec l’État au cœur du schéma

> Scénario 1 : le renforcement des conditions d’agrément des opérateurs tenant les livres généalogiques.

Il s’agit de donner à l’État les moyens de contrôler la délégation.

Il repose essentiellement sur une évolution réglementaire :

  • la publication d’un décret réécrivant les articles D214-8 à D214-15 du livre II du Code rural, en stipulant la nécessité d’agréer les opérateurs chargés de la tenue des livres généalogiques ;
  • la publication d’un arrêté qui fixerait les modalités de la tenue des livres généalogiques (cahier des charges précisant les conditions de gestion, de traitement et d’accès aux données, d’édition de documents de filiation, et imposant la certification de l’opérateur agréé par un organisme certificateur) ;
  • la sélection de candidats sur la base d’un dossier reprenant le cahier des charges ;
  • la signature d’une convention et la publication d’arrêtés d’agrément des gestionnaires des livres généalogiques.

Il n’est pas certain que ce scénario soit retenu, car il demande un investissement renforcé de l’État sur une mission qu’il n’a plus aujourd’hui l’envie d’assumer.

 

> Scénario 2 : reconnaissance de livres généalogiques sur la base de critères techniques définis par l’État.

Beaucoup plus probable, et dans l’air du temps, cette option permet à l’État de se désengager davantage.

Les étapes :

  • la réécriture des articles D214-8 à D214-15 permettrait de fixer les conditions de reconnaissance des livres généalogiques ;
  • un nouvel arrêté fixerait les modalités de reconnaissance des livres généalogiques et non plus leur tenue comme précédemment ;
  • l’analyse et le traitement des demandes de reconnaissance ;
  • la publication finale d’arrêtés de reconnaissance de livres généalogiques et non plus de gestionnaires de ces livres.

 

> Scénario 3 : ouverture du fichier national d’identification des carnivores domestiques aux données généalogiques.

chiend e race dog_showC’est probablement le scénario le plus logique, tant scientifiquement que structurellement. Il s’inscrit dans le virage de la e-santé de l’élevage canin et félin. Seule ombre au tableau : il pourrait rouvrir d’ancienne plaies, celles d’années de négociations dans un climat délétère, entre la SCC et le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). Car ce scénario implique la montée en puissance de la société ICad dans la sélection et l’amélioration des races de chiens et de chats.

Les bénéfices sont cependant certains, notamment en termes de bien-être animal. Ce montage permettrait en outre, de redonner une place légitime mais sous-estimée jusqu’à présent, du praticien vétérinaire et non du scientifique vétérinaire. Une nuance non sans conséquences. C’est d’ailleurs la position défendue par la Société francophone de cynotechnie (SFC) depuis des années.

Concrètement, cela revient à :

  • toujours publier un décret modificatif, qui définit alors le livre généalogique comme une section du fichier national d’identification des carnivores domestiques et qui soumet à un agrément les opérateurs pouvant transmettre les données généalogiques ;
  • publier les conditions d’agrément des opérateurs autorisés à transmettre les données généalogiques au fichier national d’identification des carnivores domestiques ;
  • sélectionner les candidats en fonction du cahier des charges ;
  • publier les agréments des opérateurs retenus.

Les rapporteurs voient dans ce schéma la possibilité pour l’État de conserver la maitrise d’un « état civil des chiens et des chats de race ». En théorie seulement. Car en pratique, le renouvellement des conventions passera nécessairement par un appel d’offres, celui de la gestion du fichier national d’identification. Le cahier des charges alors rédigé ne laisserait que peu de suspens quant au résultat d’une consultation qui pourrait être considérée comme une mascarade.

 

> Scénario 4 : désengagement de l’État de la reconnaissance des livres généalogiques.

C’est le scénario de la chienlit. En résumé, l’État ne veut pas perdre de temps avec un dossier si peu important au ministère de l’Agriculture. Il fait alors passer un amendement cavalier lors d’une discussion parlementaire pour s’affranchir de toute reconnaissance de livres généalogiques (suppression pure et simple du paragraphe III de l’article L214-8). Il rend tout l’arsenal à la loi du marché et les notions de chien de race et de chat de race tombent dans le domaine public.

 

Une autre voie : le dossier médical personnel

Cette solution prône de revenir aux fondamentaux :

  • des chiens et des chats de qualité, sains et équilibrés ;
  • un élargissement de la base de sélection ;
  • une traçabilité de la production de l’ensemble de la filière canine et féline, chiots et chatons inscrits ou non au LOF et Loof.

Pour cela, il serait prévu de :

  • créer un numéro unique d’identification pour développer une nouvelle organisation des traitements des données ;
  • revoir l’indexation des reproducteurs via une gestion dynamique de ceux-ci ;
  • appréhender une approche tant individuelle du reproducteur que sur l’élevage ;
  • intégrer le vétérinaire en charge de l’élevage au centre du dispositif de sélection.

 

Le succès d’un tel projet dépend de la gestion des données : de filiation et de généalogie, récompenses et prix, médicales, comportementales et d’élevage.

L’enjeu est de taille. Il s’agit en fin de compte de créer ce qui se déploie chez le patient humain en France, le dossier médical personnel. Les rapporteurs préconisent la modélisation de ces données par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) et le SNVEL. Y seraient intégrées les données certes médicales, mais aussi comportementales, génétiques et zootechniques.

Reste qu’un tel scénario pourrait poser un problème de taille en termes de concurrence sur le marché. Car un tel projet tuerait un certain nombre d’acteurs comme les éditeurs de logiciels vétérinaires ou d’élevage, et inféoderaient des prestataires comme les laboratoires de tests génétiques.

 

La question à poser dans ce contexte est : l’État reste-t-il partie prenante ou pas ? Si oui, le scénario 3 est alors le plus logique. Si non, c’est la loi du marché qui prime et doit alors laisser la porte ouverte à de nouveaux entrants qui, comme en e-médecine, peuvent être issus de secteurs comme l’industrie pharmaceutique ou pet food, ou du métier comme Google !

chien de race Crufts_dog_show_2011

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici